À propos de la statue
Cette statue fait partie du patrimoine artistique de la Ville d’Anvers. Elle appartient à la collection Kunst in de Stad ( l’Art dans la Ville), dont la gestion, l’étude et l’exposition au public relèvent du département « Kunst in de Stad » du musée Middelheim. L’œuvre a été réalisée en 1873 par le sculpteur Joseph Jacques Ducaju. La même année, elle est inaugurée à Ekeren, en commémoration de la visite de Léopold II en 1869. Cette statue est très probablement la première à avoir été érigée à la gloire de Léopold II dans l’espace public en Belgique. En 1960 et en 1993, la statue est déplacée à deux endroits de la Grand-Place d’Ekeren, sans que le socle d’origine soit conservé. En 2018, l’administration du district d’Ekeren fait placer un panneau d’information sur la relation entre la statue et le passé colonial.
Vous trouverez l’histoire plus détaillée de cette statue sur la chronologie illustrée (pdf).
À propos de Léopold II et de son règne sur l’État indépendant du Congo
Même si la statue réalisée par Joseph Ducaju a été mise en place en 1873 et si l’État indépendant du Congo n’est devenu la propriété privée de Léopold II qu’en 1885, les statues érigées à la gloire du souverain sont en règle générale considérées comme des symboles du passé colonial de la Belgique au Congo. Déjà à l’époque de Léopold II, l’exploitation humaine et la violence qui caractérisaient le régime dans l’État indépendant du Congo avaient fait scandale et soulevé des vagues de protestation politique internationales et des révoltes à l’échelon local. Les guerres de conquête, la répression, le travail forcé, la famine et les épidémies ont coûté la vie à d’innombrables Congolais. Bien qu’il n’existe aucun registre de population officiel, les historiens ont démontré que sous le régime de pillage orchestré par Léopold II, la démographie a reculé d’environ 8 à 10 millions d’individus.
À la lumière de cette exploitation et de l’extermination des populations locales, les statues de Léopold II peuvent être considérées comme un hommage et un cautionnement de ses exactions. Ces statues nous confrontent donc à cette question : « Quelles histoires, quels personnages et quels événements voulons-nous commémorer dans l’espace public ? ».
À propos du retrait de la statue
La Ville a décidé de faire retirer la statue en raison des actes de vandalisme toujours plus graves dont elle faisait l’objet. Le premier acte de vandalisme documenté (de la peinture déversée sur la statue pour symboliser le sang) date de 2007 ; un acte similaire fut constaté en 2009. Cette année, entre le 16 mai et le 3 juin 2020, la statue a été vandalisée à trois reprises, faisant notamment l’objet d’un incendie volontaire. Le bourgmestre et le président du district ont donc décidé de la déboulonner de son piédestal le 9 juin 2020 pour la transporter au dépôt du Musée Middelheim. Le panneau d’information a quant à lui été pris en charge par le district.
À propos de Kunst in de Stad et du Musée Middelheim
Le Musée Middelheim et Kunst in de Stad sont convaincus que le vandalisme ne constitue pas un terreau favorable au débat. Par ailleurs, face aux actions menées récemment et dans le passé, force est de constater que cette statue provoque, dérange et réveille des sentiments douloureux. Aujourd’hui, on prend de plus en plus conscience de la discrimination et du racisme, les connaissances et données historiques s’enrichissent, la société urbaine se diversifie fortement et change rapidement... le regard que nous portons aujourd’hui sur ces statues est à mille lieues de ce qui avait présidé à leur mise en place. L’art dans l’espace public existe en effet dans l’espace commun, et prend du sens à mesure que les gens partagent une conscience quant à l’intention qui a motivé son installation et au message tel qu’il est perçu par les habitants et les visiteurs de la ville. Nous sommes d’avis qu’il faut mener un débat sur le glissement de sens de ce genre de statues, avec le vocabulaire nuancé des valeurs patrimoniales.
Et maintenant ?
La statue a été remisée dans le dépôt où sont conservées à la fois les œuvres d’art de la collection du musée et les statues de la collection Kunst in de Stad. Une partie se trouve en plein air et est accessible au publique. On va prochainement examiner comment élargir l’accès à ce dépôt et comment donner des informations et du contexte aux visiteurs du parc du musée.
La statue de Léopold II ne rejoint pas la collection du Musée Middelheim, et ne sera donc pas visible parmi les œuvres exposées dans le parc.
Les gestionnaires de la collection Kunst in de Stad vont examiner l’état de la statue de Léopold II et se proposent de réfléchir au sort à lui réserver, ainsi que, le cas échéant, à d’autres monuments (coloniaux) présents dans l’espace public. Il s’agit ici de statues faisant partie de l’histoire de l’art et ayant des valeurs patrimoniales, sociales et artistiques très différentes, qui nécessitent une approche sur mesure. S’agissant des différents monuments coloniaux, aucune réponse toute faite n’est possible (ni souhaitable). Idéalement, il faudrait dans chaque cas qu’un dialogue et une étude créent les bases d’une approche actualisée de ce patrimoine complexe et chargé d’histoire.
En tout cas, à Anvers, nous savons que nous ne sommes pas seuls face à ces questions : « Aujourd’hui, dans tous les pays d’Europe qui possédaient des colonies lointaines (...), des débats de société consacrés à ces thèmes sensibles ont lieu. (…) Dans l’immédiat, la première leçon à en tirer est qu’il est impensable de faire comme si ces sujets délicats n’existaient pas. Ils exigent qu’on retire ses œillères. Nous devons donner davantage de contexte et parler les uns avec les autres. » (trad. libre – Source : Beladen Erfgoed, février 2019, publié par le Rijksdienst voor Cultureel Erfgoed, service national du patrimoine culturel aux Pays-Bas)
Organismes patrimoniaux, monde académique, organisations citoyennes, artistes, administration de la Ville… : nous allons devoir entrer en dialogue et envisager ensemble comment faire d’Anvers un livre d’histoire grand ouvert. Et il n’existe en l’occurrence aucun modèle unique : chaque situation devra être étudiée au cas par cas.